Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Dessin par Sylvain Cnudde

Dessin par Sylvain Cnudde

Ch1 - Episode 8 – « Retrouve moi. »

Quai de gare SNCF, début de matinée brumeuse – Julie, seule, sans ses amis, sur le quai quasi désertique, cherche l'homme SDF, le trouve et se dirige vers lui. Il est allongé au sol, endormi et emmitouflé dans un sac de couchage. Alors que l’activité sur le quai s’amplifie de minute en minute, les usagers de plus en plus nombreux, elle se poste à côté de lui et attend qu’il se réveille.
Quand il finit par ouvrir les yeux, il la contemple, pense être encore en train de rêver : elle est là, tel un phare au milieu des courants de corps qui l’effleurent, tel un projecteur qui a décidé de s'immobiliser sur lui – il est le héros du concert des bruits matinaux. Son visage s’illumine au dessus du sien, brille, brille, éclaire puis enchante son rêve. Eclat : il réalise sa présence, s’extirpe de son sac, se redresse, détale.
Elle se met à courir pour tenter de le rattraper. 
Il s’engouffre dans un tunnel et y disparaît.

Tunnel humide – Julie ralentit, hésite et entre à son tour dans le tunnel en clair obscur. L’éclat du jour passe tout juste par quelques trous au plafond.
Elle avance, cherche à le voir. Elle s’arrête, se sait imprudente mais ne peut résister à l’envie de connaître cet homme qui est entré en contact avec elle. Elle avance. Le tunnel est silencieux, comme si à son entrée une barrière aux bruits de la gare avait été posée. Elle n’entend même pas ses pas, juste son cœur qui bat ou peut-être le sien. 
Alors qu’elle a dépassé la moitié du tunnel, guidée par la lumière vaporeuse du jour face à elle, il surgit, la prend par le bras et l’entraine avec lui à l’extérieur du tunnel sans qu’elle ne puisse ou veuille résister.

Quai de gare SNCF abandonné – Il la plaque contre un mur.
Il la secoue par les épaules pour lui faire peur et sans doute lui fait comprendre qu’elle ne doit pas chercher à le rencontrer ou se venger, qu’elle doit oublier cette foutue barre qu’il lui a volée et qui non seulement est déjà engloutie mais a déjà laissé place à une nouvelle faim qu’elle ne peut pas et ne voudrait pas connaitre.
Elle reste ébahie : il l’a secouée mais elle sent qu’il ne lui veut pas de mal. Elle lit dans son regard autre chose. Elle lit sa souffrance qui est aussi, elle ne sait pourquoi, la souffrance du monde qu’il voit continuellement passer devant lui. Elle le perçoit chargé de la mort de faim qui à toute heure le guette mais qui le fait être plus vivant qu’elle, rempli d’autre chose qu’elle ne sait définir. Elle lit que cet inconnu est aussi elle ou peut-être une part d’elle-même, une part de sa vie. Peut-être un reflet ? Celui d’un miroir brisé au sol de son monde ? Elle le voit et ne peut réagir. Toutes les sensations qui la traversent, elle ignore comment les exprimer. Et, elle ressent la pression de ces mains sales, plus jeunes que les marques de la vieillesse prématurée qui voile son visage. Des mains sales, rugueuses et fragiles, douces et fortes qui la tiennent par les épaules. Elle est prise dans l’éclat de son regard.
Le SDF la relâche, tourne les talons et repart vers le tunnel.
Des larmes montent aux yeux de Julie. Elle ne peut pas se retenir. Elle le suit.

Tunnel humide – Arrivé au milieu du tunnel, à l’endroit où les lumières du jour de l’entrée et de la sortie se rejoignent pour se confondre et ne laisser place qu’à de l’ombre, il se retourne et l’attend, lui-même soudainement saisit par une inquiétude.
Elle se rapproche. Elle pose avec tendresse sa main sur sa joue.
Il prend la main délicatement. Il la sert affectueusement puis, la laisse tomber et de nouveau, part en courant. Elle reste à cet endroit, veut le retenir mais ne sait comment.

Appartement de Julie – Julie avance dans le couloir de son appartement, plusieurs photos collées aux murs.
Elle s’arrête à côté d’une photo et tourne la tête pour l’examiner.
Sur la photo, un homme debout sur une scène, costumé en rock star, maquillé, stylisé. Derrière cet homme, un écran avec le logo VM et la mention de son nom d’artiste : Miles. Il a tout juste un peu plus de vingt ans mais assurément, c’est lui, elle le reconnaît, c’est le SDF.

(sans-voix)

Dessin par Sylvain Cnudde (http://blogenkor.canalblog.com/)

Musique recommandée pendant ou après la lecture : Deaf zone (Blasze, Acouphean, 2019 - https://blasze.bandcamp.com/album/acouphean)

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :