SP - ch1/ep9 : Hey ! Accepte l’évidence.

Dessin par Sylvain Cnudde

Ch1 - Episode 9 – « Hey ! Accepte l’évidence. »

Quai de gare SNCF, matinée ensoleillée – Julie, de nouveau sur le quai, juste après l’heure du grand rush, attend que Miles, son chanteur devenu SDF, se réveille. Donnant le dos à Julie, il est paisiblement allongé.
Les SDF à proximité, eux, finissent de manger les quelques vivres qu’ils ont, et lancent de temps à autre un regard sans expression en direction de Miles et de Julie.
L’un après l’autre, ils se lèvent, prennent toutes leurs affaires et s’éloignent. Un SDF très âgé s’arrête un instant à côté de Julie puis poursuit sa route pour rejoindre ses compagnons.
Julie et Miles se retrouvent seuls, côte à côte, immobiles dans le mouvement irrégulier des quelques arrivées et départs de passagers.
En même temps que le soleil monte dans le ciel, le rythme de la vie sur le quai continue de diminuer.
Julie, réalisant le temps qui s’est écoulé, s’impatiente et se décide à le réveiller. Hésitante ou intimidée, elle pose les doigts sur le sac à l’endroit qui semble être l’épaule de Miles et presse délicatement. Il ne réagit pas. Elle le secoue, il ne réagit toujours pas. Elle le secoue vigoureusement de telle sorte qu’il bascule sur le dos.
Elle se retrouve alors face à son visage frigorifié.
Aussitôt, elle se place à califourchon au dessus de son corps et lui donne des gifles.
Elle s’arrête, tourne la tête, cherche de l’aide.
Des passagers descendent d’un train. Leurs visages sont tournés vers leurs écrans. Aucun ne la voit. Aucun ne peut la remarquer. Elle pourrait courir vers eux, mais sent qu’il est trop tard. Elle ne peut rien attendre d’eux, car il n’y a plus rien à attendre pour lui.
Julie regarde de nouveau Miles et saisit l’évidence. Elle le secoue de nouveau pour refuser cette évidence et commence à pleurer.
Elle secoue la tête de Miles, le frappe au niveau du torse, se bat contre la détresse qui monte en elle, veut vaincre le froid qui l’a envahi. Elle frappe, et soudain cherche à l’interpeller, d’un réflexe primitif venant du plus profond de son corps et brûle sa gorge, un cri : "hey !". 
Surprise par le son qu’elle a émis, elle se redresse précipitamment.
Miles est sur le dos devant elle, sans qu’il n’y ait le moindre espoir qu’il ouvre les yeux, la scrute, se lève et la secoue pour être vu et oublié, pour que peut-être elle le comprenne. Miles, ce chanteur qu’elle a adulé est devant elle, nu de sa célébrité, gelé en pleine jeunesse. Miles, homme qu’elle n’avait pas reconnu, visage ridé par une vie perdue sur un quai de femmes et d’hommes de passage. Et pourtant, ses yeux n’avaient pu se détacher de lui, comme si quelque chose s’inscrivait ou s’écrivait entre eux. 
La tristesse l’accable et elle s’allonge à côté de lui.
Le soir arrive.
Julie marche triste au milieu des passagers plus nombreux.
Elle sort son smartphone et écrit un message au Dr Lowens dont la photo s’affiche. 
« Il faut que l’on se voit. »
Elle reçoit immédiatement une réponse. « OK, passe, suis encore au cabinet. ».
Elle range le smartphone dans son sac.
Elle tourne la tête, regarde en arrière en direction de Miles mais la foule sur le quai l’a déjà mis hors de sa vue.

(sans-voix)

Dessin par Sylvain Cnudde (http://blogenkor.canalblog.com/)

Musique recommandée pendant ou après la lecture : Versions (Moderat, II, 2013)